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dimanche 14 octobre 2007

IMMIGRATION CLANDESTINE :

Kuami Mensah Gnonnas, fils du grand Salsero Gnonnas Pedro, voulait gommer cette image d’une Afrique sale, affamée et accroupie dans un trou à Valencia.

Le logement est réservé aux personnes en situation régulière,
l’hébergement d’urgence, lui, fonctionne selon le principe de l’accueil inconditionnel.
Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives en France.

À la devanture de la mosquée du centre culturel islamique de Valencia situé sur la career Arquitecte Rodriguez, au croisement avec l’avenida Primado Reig, après la prière du vendredi, des modou-modou plaisantaient avec un groupe d’africains en les surnommant modou-mbott (comprenez modou-grenouille). J’appris plus tard que, c’est ainsi que les anciens désignaient les nouveaux immigrés clandestins arrivés à bord de pirogues de fortune. En embarquant dans les pirogues, ils avaient tous fait leurs, le slogan des Harraga* consistant à dire qu’il vaut mieux être dévoré par les poissons que par les vers de terre. Dieu merci. Contrairement à des milliers d’autres qui ont été fâcheusement engloutis par l’Atlantique, ces miraculés ont bien échappé à la mort; mais pas encore au dénuement. Ils ont fait naufrage sur la terre ferme. Après avoir séjourné pendant quarante jours dans une prison des îles Canaris qui porte le nom adouci de centre d’accueil ou quelque chose comme ça, ceux dont les pays d’origine n’ont pas d’accord de rapatriement avec l’Espagne sont toujours acheminés par groupes dans les différentes villes du pays, abandonnés à eux mêmes et paradoxalement sommés de quitter le territoire espagnol. Comme les autres villes du royaume, Valencia reçoit régulièrement son quota de désoeuvrés.
Des premiers arrivés, les uns passaient la journée dans un grand parking situé à proximité du terminal des autobus pour indiquer aux conducteurs des places libres moyennant quelques centimes d’Euro, les autres s’adonnaient à la vente de CD piratés et de contrefaçons de vêtements de marque, ce qui les exposait à la furie des agents de police qui les traquaient comme s’ils étaient des tueurs en série. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux ont renoncé à la collecte des fruits dans les vergers car, contrairement à ce qui se raconte au pays, ce travail ne dure que quelques semaines et profite moins aux collecteurs qu’aux propriétaires de fourgonnettes chargés de les recruter. Ils contractent avec les travailleurs à la place des propriétaires des champs et récupèrent les salaires hebdomadaires qui ne leur sont pas toujours reversés ou pas intégralement. Plusieurs fois, des recruteurs exploiteurs de misère ont changé de zone d’opération en disparaissant avec les rétributions des collecteurs en situation irrégulière, incapables d’élever la voix car étant travailleurs en noir et sans interlocuteur. Ils établirent domicile dans un coin du Rio qu’ils avaient fini de transformer en hôtel-plein-air. Le Rio de Turia est une longue et jolie promenade supplantée sur toute son étendue par des ponts à partir desquels on peut admirer la beauté des lampadaires et des arbres superbement taillés qui le bordent ainsi que la verdeur éclatante du gazon qui lui offrent toute sa fraîcheur et sa splendeur. Des bancs sont installés tout le long du parcours pour accueillir les promeneurs fatigués, les amoureux, les adeptes de la méditation etc. Du haut du pont Adémus, certains passants observaient avec dégoût, d’autres avec compassion cette misère noire des noirs exposés à la chaleur le jour, à la fraîcheur la nuit, et parfois au vent et à la pluie qui semblaient toujours vouloir les emporter afin que cette partie du Rio retrouva enfin sa propreté et son charme d’antan.
C’est en traversant ce pont un jour, que Kuami Mensah Gnonnas tomba sur ce spectacle abaissant que les touristes photographiaient à longueur de journée et se fixa comme but de gommer au plus vite cette image d’une Afrique sale, affamée et à genoux dans cette promenade souterraine de Valencia. "Quelque soit leur statut" dit-il "ils ont droit à la dignité humaine". Il sollicita la collaboration de responsables de nombreuses associations et d’entreprises de la place pour l’organisation d’un concert dont les recettes allaient servir à trouver un toit à ses frères en détresse. En attendant la mise en œuvre de cette première initiative, ils venaient régulièrement leur apporter des sandwichs et de l’eau. Lors de la première réunion de préparation de l’évènement, il apprit que plus d’une vingtaine de ces jeunes, très mal en point, avaient été récupérés par une espagnole du nom de Maria qui prenaient soin d’eux gracieusement et que mère Nguénar, une rufisquoise qui tient un restaurant en ville en avait hébergé autant. Ils dormaient sur des matelas dispersés dans tous les coins et recoins de son appartement. On la surnomme maman Africa. Le fils à mère Nguénar quant à lui, invitait ceux qui n’avaient pas de place à la maison à passer au moins prendre une douche de temps en temps et avaler quelque chose s’il en restait au resto de sa mère. Et pourtant, ni lui, ni sa maman n’avaient les moyens de leur générosité.

Secondé par son amie Patricia, Kuami anima un grand concert qui mobilisa tout Valencia et lui permit de récolter une importante somme d’argent dont il se servit pour louer un local assez commode qu’il baptisa Centre Baobab. Il l’équipa grâce au soutien d’un officier de l’armée espagnole et y logea tous ces africains considérés comme des rebuts de l’humanité, procéda à leur recensement, leur trouva des carnets de santé afin qu’ils puissent bénéficier de soins médicaux en dépit de leur statut de clandestins, mobilisa un collectif d’avocats qui offrirent affablement leur service en introduisant des recours pour supprimer l’ordre qui leur était intimé de quitter le territoire espagnol. D’autres volontaires se manifestèrent et commencèrent à leur dispenser des cours d’espagnole. Ces actions le poussèrent à mettre en place une association dénommée Musiclini-K-Baobab réunissant des personnalités influentes et travaillant de concert avec l’ONG Askan wi présidée par Maka LO, un sénégalais partageant son temps entre l’écriture, son taxi, et cette structure qui œuvre pour une nouvelle conception de l’immigration et de l’intégration. Cet élan de solidarité fut cependant embrouillé un temps par un autre sénégalais accusé d’être un grand spécialiste de la récupération politique qui, par un discours mielleux et très convainquant, parvint à déloger les modou-grenouille en leur promettant des papiers en règles et une vie meilleure ailleurs qu’au Centre Baobab. Deux semaines après avoir quitté cette bulle de sécurité sur la base de promesses politiciennes, ils se retrouvèrent tous encore dans la rue et interdits de séjour sous le pont Adémus. Ceux d’entre eux qui tentèrent de retourner squatter le Centre fermé après leur départ, ont été chassés comme des malpropres par le propriétaire des lieux.
Excédés par cette pénitence continue, plusieurs modou-grenouille se rendirent à un poste de police pour solliciter leur rapatriement sur Dakar. Après s’être bien marrés, les policiers leur demandèrent de reprendre les pirogues en direction de l’Afrique puisqu’ils connaissaient déjà la route. Jamais cette ville n’avait connu autant de sans abris et de déficients mentaux. Très peu de nouveaux venus sont hébergés chez les anciens immigrés et pendant tout ce temps, les échanges aigres doux se multipliaient entre la municipalité de Valencia et le pouvoir central qui se rejetaient la responsabilité de la situation. Toujours déterminés, Kuami et ses amis continuèrent à mener une campagne de sensibilisation destinée à alerter l’opinion sur la nécessité de voler impérativement au secours de ces desperados qui portaient tous des séquelles de la traversée de l’Atlantique. Devant l’aggravation de la situation, Patricia, Maria et un curée menacèrent d’entamer une grève de la faim dans le but d’inciter les décideurs à ouvrir un centre d’hébergement d’urgence pour accueillir les immigrés clandestins plongés brutalement dans cet environnement d’une férocité sans bornes. C’est finalement la décision prise par les autorités locales de recevoir les membres du bureau de l’association Musiclini-K-Baobab le mercredi 10 octobre 2007 et leur promesse de traiter la situation avec tout l’humanisme nécessaire qui les a dissuadés de passer à l’acte.
Avec l’accord des modou-grenouille, Kuami Mensah Gnonnas souhaite utiliser les récits recueillis ainsi que les images de cette misère d’une profondeur insondable pour tenter de dissuader les jeunes restés en Afrique à renoncer à cette forme d’immigration déshumanisante. Les candidats à l’immigration clandestine ont tous une perception statique purement photographique de l’Europe et l’ampleur catastrophique que ce phénomène a prise ces dernières années invite chacun de nous au difficile combat pour son éradication. Face à une telle tragédie qui est en train de rétrécir gravement nos familles en les amputant des adolescents que les parents considèrent comme leur assurance retraite et que la nation considère comme son avenir, nous avons tous une responsabilité citoyenne en marge de ce que les gouvernants peuvent impulser.

Souleymane DIEYE
*harraga : nom donné aux candidats à l’immigration clandestine
ressortissants des pays du maghreb.

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